COMMUNIQUE

Blouses blanches et narguilé : Mise en scène

de la « science » à l’écran de France 5

 

Par [Dr Kamal T. C.](*), anthropologue spécialisé dans la critique des études sanitaires sur le narguilé, DIU de Tabacologie de Paris (1998). Auteur de deux ouvrages (1997, 2002) et d’articles transdisciplinaires de fond sur le sujet.

 

LE CAS

La chaîne de télévision française France 5  a diffusé, le 5 avril 2006, un reportage sur les « dangers du narguilé » dans le cadre de son « magazine de la santé au quotidien » présenté par Michel CYMES et Marina CARRERE D’ENCAUSSE.

-Le Dr Marie-Hélène BECQUEMIN, pneumologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), a fait absorber à deux cobayes humains des bouffées d’un volume de 3 litres, d’une durée d’environ 9 secondes (1) et espacées d’environ 8 secondes (2).

-Son collègue, le Pr Bertrand DAUTZENBERG, a pris lui-même quelques bouffées avant de mesurer son propre taux de monoxyde de carbone alvéolaire. Il a relevé la valeur de 8 ppm (parties par million), chiffre qu’il s’est empressé de comparer au niveau d’alerte à la pollution.

QU’EST-CE QUI NE VA PAS ?

Consultez nos études et vous le saurez. Vous verrez alors que ces « expériences » n’ont aucun rapport avec la réalité de la fume dans le monde réel et qu’il s’agit d’une grave parodie de la science à l’écran.

ANALYSE CRITIQUE

-L’importance des bouffées est en fait variable tout au long d’une séance de narguilé : de volumes voisins de ceux d’une cigarette (en dessous de 100 ml) à de plus imposants pouvant atteindre 1 litre, voire dépasser ce chiffre plus rarement. De toutes façons, il n’y a pas de « moyenne » et faire une moyenne arithmétique dans ce cas, sur une période aussi longue (une heure environ) est une ABSURDITE METHODOLOGIQUE en raison des micro et macro événements de toute nature qui se produisent lors d’une séance de narguilé: du tuyau posé sur la table, à la conversation, de l’absorption de boissons au  partage du tuyau et bien d’autres choses encore. D’autres études célèbres en laboratoire (3)(4) se sont distinguées par de semblables erreurs méthodologiques de modélisation.

-La durée des bouffées imposée dans cette expérience (environ 9 secondes) est UNE AUTRE ABERRATION. La moyenne admise internationalement par les meilleurs chercheurs se situe entre 2 et 3 secondes. Et tous les fumeurs du monde le savent d’expérience.

-Avec les pneumologues ci-dessus, les journalistes concluent, sur la base de ces résultats « scientifiquement prouvés », que fumer un narguilé (en prenant 50 bouffées de 3 litres…) reviendrait à inhaler 150 litres de fumée qu’ils comparent allègrement aux 0,6 litre d’une cigarette. Le fumeur de narguilé inhalerait-il donc l’équivalent 250 (150/0,6) cigarettes ? Non, seulement 100 comme il sera dit plus loin au sujet des milliards de « particules ».

Par ailleurs, l’expérience elle-même démontre le CHOIX ARBITRAIREMENT FAUX et  du volume des bouffées (3 litres)(voyez l’embout énorme proposé à cette fin…) et du nombre de ces dernières (50) pour la fameuse « séance ». En effet, si l’on retient les chiffres de 9 secondes pour leur durée (1) et, pour simplifier le calcul, de 9 secondes au lieu de 8 secondes, pour leur espacement (2), et si l’on suppose une séance de 50 minutes, le calcul donne :

50 min= 50 x 60s= 3000 secondes

Avec une durée égale de 9 secondes pour les bouffées et l’espacement entre ces dernières, la moitié de la séance est donc consacrée aux premières, soit 1500 secondes

1500s: 9s  = nombre de bouffées, soit  167 bouffées.

Or, les experts n’en ont compté que 50 !  IL MANQUE DONC 117 BOUFFEES DANS LEUR « CALCUL ». Par conséquent, compte tenu de leur protocole expérimental, le fumeur de narguilé n’absorberait pas 150 litres mais 3 litres x 167 = 501 litres, soit l’équivalent de 501 :0,6= 835 CIGARETTES, soit 42 paquets !

 

-Le taux de CO alvéolaire mesuré par l’expert n’est en fait pas très différent de celui que l’on peut mesurer chez un fumeur de cigarettes, voire un fumeur léger de ces dernières. Puisque l’objectif du reportage est de « comparer » avec la cigarette, pourquoi l’expert ne le fait-il pas ici ?

-Le nombre de « particules » annoncé par l’expert est de 100 milliards (5), un chiffre qui « fait froid dans le dos » selon la journaliste qui s’empresse d’affirmer qu’un narguilé équivaut à 100 CIGARETTES (soit 5 paquets de cigarettes). Ainsi, selon la même logique d’acier, un fumeur qui prendrait 2 narguilés par jour inhalerait l’équivalent de 10 paquets de cigarettes par jour…. En Asie, il n’est pas difficile de trouver des fumeurs de narguilé prenant, depuis des dizaines d’années, jusqu’à 5 narguilés quotidiens. Ces derniers absorberaient-ils donc, selon la même arithmétique, l’équivalent de 25 PAQUETS DE CIGARETTES PAR JOUR… ?

-Les journalistes scientifiques de France 5 concluent que « la combustion lente du narguilé est plus nocive que la combustion rapide de la cigarette », ce qui constitue une énième erreur monumentale dans ce reportage. Dans le cas du narguilé (au tabamel, particulièrement), le mélange tabac-mélasse est simplement chauffé à des centaines de degrés au dessous de la température de combustion de la cigarette. C’est une différence fondamentale aux conséquences nombreuses.

-Les journalistes déclarent qu’il n’y a pas d’études ou de chiffres pour « la nicotine, les goudrons et autres toxiques ». C’est encore absolument faux.

-Quant à présenter cette expérience comme des « premiers résultats » (sous-entendu d’études à venir), il n’en est rien du tout. D’autres études par le passé, combien plus sérieuses, ont été conduites à ce sujet. De notre côté, nous avons su écarter à jamais celles, caricaturales, qui ont tenté de s’imposer au public par des méthodes dénuées d’éthique professionnelle (*).

Les deux pneumologues, présentés comme les « experts » du sujet en France, ne sont en réalité que des débutants. Par ailleurs, le reportage nous apprend lui-même qu’ils travaillent depuis 3 mois sur le sujet pour les résultats que nous avons vus…). Cette campagne de diabolisation du narguilé ne peut que contribuer à accroître la popularité de ce dernier. Les vrais spécialistes de la question n’ont pas été consultés parce que leurs méthodes s’opposent totalement à celles ci-dessus exposées. Par conséquent, l’éthique professionnelle des journalistes responsables de ce reportage est aussi en jeu.

CONCLUSION

Au plus, ce type d’expérience aura-t-il un effet adverse en fournissant un mode d’emploi intéressant sur la manière de fumer le narguilé. En ce sens, il remplacerait la bonne vieille tradition que transmettaient, en Asie et en Afrique, les anciennes générations de fumeurs de narguilé aux nouvelles ; cette tradition qui ferait apparemment défaut à ces jeunes gens en Europe…

Finalement, si ce reportage n’est pas un « poisson d’avril », nous déplorons de telles méthodes qui nuisent gravement à la communauté scientifique dans son ensemble et dont beaucoup nous viennent tout droit d’Outre-Atlantique. Nous les dénoncerons comme nous l’avons fait par le passé récent avec d’autres tentatives bien plus célèbres, comme, entre autres, le récent rapport de l’OMS qui a terni la crédibilité scientifique de cette organisation (*).

POST SCRIPTUM : Un observateur nous fait remarquer : « La corrélation entre cette étude et la volonté du gouvernement de vouloir interdire le tabac dans les lieux publics ("200 salons-chicha à Paris"  annonce le présentateur) me semblent particulièrement opportune(!) ». Le but de ces expériences et de ce reportage serait-il donc de préparer l’opinion à la fermeture de ces établissements que les clients, contrairement aux cafés ordinaires, fréquentent uniquement pour fumer ? Pourquoi ne pas l’annoncer dès le début ?

 

Notes:

(*) www.harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=6605

(1) que nous avons mesurées visuellement à partir des images en observant le barbotement de l’eau dans le narguilé pendant toute la durée de la bouffée : entre les instants t1 = 3min19sec et t2 = 3min28sec du reportage.

(2) de même que ci-dessus pour l’espace entre les bouffées : entre les instants t2=3min28sec et t3=3min36sec du reportage.

(3) SHIHADEH A (2003). Investigation of mainstream smoke aerosol of the argileh water pipe. Food and Chemical Toxicology; 41: 143-152.

(4) SHIHADEH A,  SALEH R (2005). Food and Chemical Toxicology : Polycyclic aromatic hydrocarbons, carbon monoxide, “tar”, and nicotine in the mainstream smoke aerosol of the narghile water pipe. Food and Chemical Toxicology; 43(5): 655-661.

(5) Avec un compteur de particules du type de celui employé par l’expert, le taux d’une seule cigarette devrait tourner autour de 10 milliards de particules par ml. On ne comprend donc pas l’arithmétique étrange qui fait que 100 divisé par 10 = 100 et non pas 10. Par ailleurs, la taille des « particules de la fumée du narguilé » annoncée (0,1 à 0,3 microns), et qui a celle « des particules diesel dont on dit qu’elles font tant de mal », n’est absolument pas différente de celle de la cigarette.

De toutes façons, « le nombre énorme de ces particules » (l’unité de mesure est le milliard d’unités/millilitre, autant pour les cigarettes que le narguilé…), dépend de nombreux facteurs, à commencer par la nature de la source de production de la fumée. Or, le reportage ne nous montre pas dans quelles conditions l’expert inspire (d’ailleurs très fortement). Sûrement le tabamel est-il déjà « carbonisé », ce qui expliquerait bien des choses. Ce type de méthode est contraire à toutes les études pneumologiques sérieuses menées sur le sujet.

 

DIFFUSION ET TRADUCTION LIBRE AVEC MENTION DE LA SOURCE

 

ADRESSE DU REPORTAGE:

http://www.france5.fr/images/emissions/W00443/4/005319_1108_0_150-220kb.ram (fonctionne apparemment avec le programme “real player”)

 

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AJOUT (décembre 2006): voir aussi articles en rapport avec la question:

Le narguilé d’Ali Baba et les 40 cigarettes volantes: Une nouvelle mise en scène de la «science» à l’écran


"Le Monde … du narguilé ou le retour de la censure en France ? Lettre au Rédacteur en Chef du journal Le Monde pour un droit de réponse refusé"


-Critique du premier rapport d’experts de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), le premier jamais publié sur le narguilé : A Critique of the WHO’s TobReg “Advisory Note” entitled: “Waterpipe Tobacco Smoking: Health Effects, Research Needs and Recommended Actions by Regulators” [trad. libre : Fume du tabac au moyen du narguilé : Effets sur la santé, besoins en recherche et actions recommandées par les régulateurs](2005). Journal of Negative Results in Biomedicine 2006 (17 Nov); 5:17.

http://www.jnrbm.com/content/5/1/17

En français: PRESSER ICI