Synthèse de l’atelier :
« Tout savoir sur le narguilé »
Réseau Prévention Côte d’Or
(Dijon, France, 30 mai 2006)
par [Dr Kamal T.C.] (*)
Le narguilé (chicha [shisha], narghilé, houka [hookah]) est un mode d’usage du tabac très ancien, en tout cas bien connu en Asie et en Afrique depuis 16ème siècle. Ce n’est donc pas un « nouveau » gadget de l’industrie du tabac. Les manufactures sont encore très artisanales et sont situées pour la plupart dans les régions ci-dessus. A quelques exceptions près, femmes et hommes s’y adonnent indifféremment. L’analyse socio-anthropologique révèle une quinzaine de raisons qui expliquent le phénomène de renouveau, de découverte et de mode selon la géographie. La convivialité, très spécifique, est une dimension sociologique apparemment importante. D’un point de vue tabacologique, la fumée, dépourvue d’irritants majeurs, est effectivement beaucoup plus douce que celle de la cigarette. Les non-fumeurs ne sont pas irrités par la fumée secondaire. Quant à la fumée latérale, il semble qu’elle ne soit pas trop importante en raison du mode de chauffage. Les premiers résultats d’une étude récente le confirmeraient. De plus le tabamel (mélange d’environ un tiers de tabac mêlé à de la mélasse ou du miel ou des fruits, et du glycérol) est la plupart du temps aromatisé (essences). C’est là une « innovation » des vingt dernières années qui explique aussi, en partie, la vogue mondiale.
Il faut garder à l’esprit que le nouveau type de charbon, destiné à chauffer le tabamel, était à l’origine destiné à brûler de l’encens. Ses additifs (nitrates, métaux…) le distingueraient ainsi du charbon de bois naturel utilisé depuis très longtemps, et encore de nos jours, en Asie et en Afrique. Sa préparation est très rapide puisqu’il suffit de le passer quelques instants sous une flamme pour q’il devienne rapidement incandescent. Il a ainsi favorisé la diffusion du narguilé à travers le monde puisque le charbon naturel exige un temps de préparation conséquent (à la manière d’un barbecue).
Or, c’est précisément à ce niveau, celui du charbon, que se situent les risques les plus importants. L’hémoglobine oxycarbonée égale voire dépasse (selon les types de mélanges et de fumeurs), largement parfois, celle observée chez les usages de cigarettes. Le CO alvéolaire et ambiant sont particulièrement élevés quand le narguilé est utilisé dans des endroits mal ventilés.
La nicotine se voit en effet réduite mais un fumeur, particulièrement un ex-usager de cigarettes, est capable de « titrer » et de tirer ainsi du narguilé ce dont son corps a besoin. La teneur en goudrons s’exprime en dizaines voire, dans des conditions extrêmes, en centaines de milligrammes, selon les études (basées sur des machines qui induisent malheureusement un certain nombre de biais). Aussi, il faut supposer que la fumée du narguilé, en raison du filtrage aqueux, du parcours alambiqué, des températures relativement basses, etc., est qualitativement différente de celle de la cigarette. En d’autres termes et en l’absence d’études, les goudrons de la cigarette et ceux du narguilé ne peuvent assimilés les uns aux autres.
Le fumeur de narguilé absorbe des volumes évidemment plus importants de fumée. Ses bouffées, sporadiques, varient très largement : de quelques dizaines de millilitres à un litre, et plus s’il le souhaite, sans que l’on puisse établir une moyenne en raison du caractère hautement aléatoire de ce type de fume. Envisageable dans le cas de la cigarette où le temps de fume est assez court (c. 5 minutes), une moyenne des volumes inhalés n’aurait aucun sens pour une séance de narguilé qui peut durer entre 30 et 60 minutes. Cependant, comme cette fumée adoucie est directement absorbée, sans stockage préalable (cas du tabamel) dans la bouche comme chez l’usager de cigarettes, il ne serait pas étonnant que les BPCO (bronchopneumopathies chroniques obstructives) soient aussi fréquentes chez les fumeurs, quotidiens, de narguilé que chez les usagers de cigarettes comme tendent à le montrer certaines études.
Si le narguilé présente des dangers, comme le cigare ou la pipe, on ne peut pas dire pour autant qu’il est « plus » dangereux que la cigarette : autant vis à vis de la qualité de la fumée, de la prévalence du cancer du poumon que du phénomène de dépendance laquelle reste encore un mystère aujourd’hui. Elle frapperait plutôt les usagers quotidiens mais obéirait à des modalités très différentes de celles de la cigarette.
On ne peut pas dire, non plus, surtout en l’absence totale d’études sur ce sujet, que l’usage du narguilé conduit à celui des cigarettes, voir à celui de cannabis. Le narguilé est un instrument et même au sein des catégories d’usagers (tumbâk [tabac pur lavé], tabamel, jurâk [tabamel non aromatisé], cannabis) qui se définissent très tôt, les passages de l’une à l’autre sont rares. N’oublions pas, déjà, que les adolescents roulent des « joints » avec du tabac à cigarettes en vente libre... et que des études ont montré que l’eau du récipient est un excellent filtre pour le principe actif du cannabis... Quant à l’alcool, il est rarement servi dans les salons à narguilés.
(*) [K.C.]. Anthropologue spécialisé dans la critique des études biomédicales sur le narguilé, DIU de Tabacologie de Paris (1998).
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Pour aller plus loin (en français):
-[K.C.]. Le narguilé : analyse socio-anthropologique. Culture,
convivialité, histoire et tabacologie d’un mode d’usage populaire du tabac.
Thèse de doctorat transdisciplinaire, Université Paris X, 420 pages. www.anrtheses.com.fr
--Shisha,
hookah. Le narguilé au XXIème siècle.
Bref état des connaissances scientifiques. Le Courrier des Addictions 2004
(Oct);6(4):150-2.
www.vivactis-media.com/default/Som_Revue.asp?numrevue=17&numParution=1021
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Pour aller plus loin (en anglais):
-E-Letter to the Editor:
“Measuring Real Exposure to Narghile (Hookah, Shisha) Smoke and Other Concerns
Related to Public Health”. European Journal of Public Health 2006 (Jul
2). A critical analysis of: Tamim H,
Akkary G, El-Zein A, El-Roueiheb Z, El-Chemaly S. Exposure of pre-school
children to passive cigarette and narghile smoke in Beirut. European
Journal of Public Health 2006 (May 4): 4 pages.
http://eurpub.oxfordjournals.org/cgi/eletters/ckl043v1#18
--E-Letter to the Editor: Syria, Lebanon, Tobacco Research
in General and Narghile (Hookah, Shisha) Smoking in Particular.
Tobacco Control 2006 (8 June). A critical analysis of the
following study: Ward KD, Eissenberg T, Rastam S, Asfar T,
Mzayek F, Fouad MF, Hammal F,Mock J, Maziak W. The tobacco epidemic in Syria.
Tobacco Control 2006;15;24-29.
http://tc.bmjjournals.com/cgi/eletters/15/suppl_1/i24#top
-Critique du premier rapport d’experts de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), le premier jamais publié sur le narguilé :
A Critique of the WHO’s TobReg “Advisory Note” entitled: “Waterpipe Tobacco Smoking: Health Effects, Research Needs and Recommended Actions by Regulators” [trad. libre : Fume du tabac au moyen du narguilé : Effets sur la santé, besoins en recherche et actions recommandées par les régulateurs](2005). Journal of Negative Results in Biomedicine 2006 (17 Nov); 5:17.
http://www.jnrbm.com/content/5/1/17
En français: PRESSER ICI
Conseils pour réduire les risques
Le meilleur conseil : Cesser de fumer car le souffle, c’est la vie.
1-Passer au narguilé quand on est un fumeur de cigarettes est en général une illusion comme dans le cas des cigarettes dites « légères ».
2-Fumer tous les jours le narguilé peut exposer aux mêmes risques que l’usage de cigarettes.
3-Fumer dans un endroit mal ventilé, comme une chambre, par exemple, est dangereux en raison de l’accumulation de monoxyde de carbone (due au charbon).
4-Eviter le charbon commercial à allumage rapide.
5-Comme dans le cas de la fume d’une cigarette au-delà des deux tiers de sa longueur initiale, le risque d’inhaler, au-delà de 45 minutes environ, des éléments de combustion très toxiques est réel. Par conséquent, il faut savoir s’arrêter.
6-Changer systématiquement l’eau du récipient.
7-Utilisez un embout de bouche stérile et jetable.
DIFFUSION
ET TRADUCTION LIBRES AVEC MENTION INTEGRALE DU TITRE